« Oui, vous avez raison. Il nous faut commencer par reconnaître les lieux… En essayant de le faire le plus discrètement possible, parce qu'il nous connaît probablement et s'il repère l'un d'entre nous dans le train, il sera encore plus sur ses gardes… »

Eustache réfléchit.

« Mais je pense trop, et je pense mal ! De toute façon, il va forcément finir par nous repérer. Il sait peut-être même déjà que nous sommes dans le train en nous ayant vu y monter par la fenêtre de son compartiment. Allez, il faut que j'arrête de tergiverser. Il est temps de passer à l'action. Baladons nous dans ce train comme si de rien n'était. Qui m'aime me suive ! »

Eustache se lève donc pour parcourir le train de long en large, en commençant par aller dans la direction où se trouve le compartiment de notre voleur.

Adrien suit en souriant, mais en étant attentif.

« Je prends l'autre direction ... » annonce Charlotte
qui part ... traverse le wagon restaurant
et visite la voiture 25, à la recherche de quelqu'un ...

En fait, elle détaille les voyageurs à la recherche d'une personne qu'elle reconnaîtrait ...
n'importe qui ...
Évidemment, elle s'excuse pour le dérangement à chaque compartiment,
et poursuit sa visite ...

Puis, bredouille, retourne au wagon-restaurant où elle se cherche une place libre.

Il ya deux voitures postales sont en queue de convoi. Outre deux couples de retraités suisses, forts discrets, six autres personnes font partie du voyage.

Je transcrit le texte du livre. svp poursuivez la conversation avec lui à votre convenance


François Abelmayer (voiture 26)

Cet homme d'une quarantaine d'années, aimable et bien élevé, se dit banquier. Travaillant pour le compte de la Banque Royale de Bruxelles, il est amené à se déplacer là où les intérêts de son employeur l'appelle. La Belgique est partie prenante d'un projet ferroviaire en Anatolie. S'il plaide la cause belge, ce financier bruxellois avoue pourtant sa crainte face à la montée du nationalisme dans les Balkans. Il redoute assez sérieusement, confiera-t-il Ion d'une conversation à bâtons rompus, de voir les grandes puissances européennes. Belgique en tête, entraînées dans un vaste conflit mondial à cause d'une "nation de moindre importance". Mais la politique internationale n'est pas l'essentielle de ses propos et François Abelmayer saura se montrer fort galant avec les dames. Délicat et cultivé, il mènera une cour discrète de vrai gentleman à toute représentante du sexe faible, digne de ce nom. Ces dames pourront ainsi apprendre qu'il gagne Paris où un modeste hôtel particulier l'attend. Il compte ainsi profiler pleinement des quelques jours de repos que la Banque Royale de Bruxelles a eu l'ama-bilité de lui octroyer après son déplacement à Istanbul.

« Et vous ? »

Adrien: "Bonjour monsieur, ravi de vous rencontrer. Je me présente, Adrien Prêle, anthropologue, et un peu archéologue, spécialiste de l'Afrique du nord. "

« Je suis également ravi de vous rencontrer. Mon nom est Eustache Durousseau et je suis greffier de justice ainsi que journaliste pigiste pour une feuille de chou sans grande importance. Un loisir qui me permet de maintenir mon esprit en éveil, somme toute… Votre travail a l'air passionnant et est sans aucun doute particulièrement prenant… »

Tout en s'intéressant à la conversation, Eustache évalue du regard les bagages du bonhomme à la recherche d'un sac qui pourrait éventuellement contenir la statue de Kali.

L'homme n'a pas de bagage avec lui.

« Je suis heureux de vous rencontrer, vous et votre charmante amie, qui me semble bien timide.
Madame, la Belgique est amie de la France depuis 1815. Ne voyez pas Waterloo comme
ma bataille personne. J'aime bien quitter la Senne pour la Seine de temps en temps! »

Sur cette boutade, il vous présente 2 autres passagers.

Olga Delcourt

Cette jeune femme élégante et raffinée affiche sans fausse pudeur une aisance matérielle conséquente. Sillonnant pour son plus grand plaisir les grandes villes d'Europe, Olga Delcourt glisse d'un lieu de villégiature à l'autre sans jamais. trains de luxe, elle ne tarit pas son admiration pour le Train Express d'Orient, symbole du microcosme élitiste ou elle aime se mouvoir. D'un naturel accorte, elle s'exprime indifféremment en français, anglais, allemand ou russe, sa langue natale. Avec légèreté et insouciance, elle prétend n'avoir cure de toutes les tensions politiques du moment. Elle adore Paris et ses grands couturiers, Vienne et ses artistes, Berlin et ses jeunes officiers à la nuque raide, Londres et son faste colonia-le, Rome et sa dolce vita et Istanbul et son climat oriental. "Si tous les dirigeants européens voyageaient aussi souvent que moi," clame-telle à qui veut l'entendre, "il n'y aurait plus aucun risque de conflit". Dotée par Dame Nature d'une beauté provocante, elle n'hésitera pas à se servir de ses atouts physiques afin de charmer un homme plutôt séduisant.

Ses sentiments sont faciles à décoder. Elle semble évaluer qu'Eustache n'a pas l'étoffe d'être un beau partie, un peu vieux. Quant au jeune...

« Etes-vous de bonne famille, Adrien ? »

Harold MacKenzie

Ce turbulent et bruyant rouquin de trente ans, d'origine irlandaise est aussi un amateur de train de luxe. Dernier rejeton d'une vieille famille noble et fortunée, Harold aime par-dessus tout le bon whisky d'origine et le whist. Revenant d'Istanbul où il s'est rendu acquéreur d'un magnifique pur-sang, il compte s'arrêter au Ritz à l'aris durant une petite semaine avant de regagner ses terres ancestrales. S'il se maintient au courant de l'actualité politique et économique, c'est uniquement pour ne pas dénoter au cours d'une soirée mondaine. Par contre, lorsque l'on aborde le domaine sportif (match de polo et courses de chevaux), il est intarissable, faisant preuve d'une érudition peu commune pour un homme de son âge.

« Voulez-vous perdre un peu d'argent au whist en dégustant un verre de Loch Lomon de douze ans d'âge ? »

3 autres passagers manquent encore à l'appel.

Adrien: " Disons que mes parents ne sont pas dans le besoin, et que ma mère est d'une bonne famille d'industriels prospères du Nord, les Beghin. Mon père a une bonne réputation dans les milieux universitaires. Ma carrière va commencer, mais je suis surtout à la recherche d'aventures."

A l'époque, la sucrerie de Thumeries était en cours de transformation et fort prospère, sans atteindre l'importance qu'elle prendra après guerre.

Si Eustache sent qu'Olga Delcourt ne le considère pas comme un "beau parti", il ne s'en offusque pas du tout et se contente de sourire. Il se sait vieux, n'est pas particulièrement riche, mais ne considère pas manquer de quoi que ce soit. Habitué aux grands avocats, aux juges, et même aux politiciens, il discute d'égal à égal avec tout le monde.

« Je suis un piètre joueur de Twist, répond-il à Harold MacKenzie. Je gâcherai votre plaisir du jeu. Par contre, je goûterai bien volontiers au Loch Lomon. Est-ce vous qui le produisez ? »

Adrien sent que la croqueuse de diamants le trouve attirant mais un peu trop quelconque. Enfin, s'il pousse son avantage....
Ce qui se passe dans l'Orient Express reste dans l'Orient Express...

Le jeune homme sourit avec indulgence

« Le Loch Lomon est en Écosse, pas en Irlande. Non, nous sommes des propriétaires terrains, pas des industriels. Pour le twist, tant pis. »

Il se tourne vers Adrien

« Vous êtes anthropologue ? Que pensez-vous de la société théosophique ? Pour un républicain français, leur laicité est-elle rafraichissante ?

► Afficher spoiler

La Société théosophique est une organisation internationale ayant pour but de :

Former un noyau de la fraternité universelle de l'humanité, sans distinction de race, credo, sexe, caste ou couleur ;
Encourager l'étude comparée des religions, des philosophies et des sciences ;
Étudier les lois inexpliquées de la nature et les pouvoirs latents dans l'homme.

 »

Abelmayer, dépité par le mutisme de la jeune française, se joint à la conversation

« En Flandres, ces idées républicaines sont accueillies par plusieurs. Les ouvriers se réunissent en syndicats d'après des principes
libéraux radicaux, comme ceux prônés par votre George Clémenceau. Mon ami Francq, curé en Wallonie, a un frère à Montréal, au Canada, qui prône le 'trade unionisme'. Personnellement, étant banquier, je reste en faveur de valeurs plus conservatrices. »

Un autre voyageur se joint à vous.

Ce digne éclessiastique de 63 ans revient d'Istanbul a rencontré pour le compte du saint-Siège, le Patriarche de l'église orthodoxe de Constantinople. Spécialiste des ambassades discrètes et des entrevues officieuses, le Père Illich possède une finesse intellectuelle rare. Entretenant de bons rapports avec les milieux musulmans modérés, il connaît, pour l'avoir vu deux ou trois fois, votre bon concierge Farad Pacha. De nature plutôt réservée, notre bon père ne se mêlera pas de conversations mondaines et futiles. Par contre, si on l'en convie, il n'hésitera pas à donner son avis sur des sujets de politique internationale, de théologie comparée ou même de philosophie. Ses propos, fort pertinents, révèlent un homme instruit, cultivé et très réaliste. Pour lui, si les rapports entre la France, l'Allemagne et l'Angleterre n'évoluent pas vers une détente, et si des accords coloniaux ne sont pas rapidement conclus, une guerre mondiale est inévi-table. Bien sûr, en tant qu'homme d'église, il redoute de voir le monde civilisé en arriver à de telles extrémités. Toutefois, il pense qu'en tant qu'Italien d'origine serbe, il ne se fera pas prier pour prendre ses responsabilités.

« La Théosophie est comme la Franc-Maçonnerie, une abomination! »

Adrien : " En ce qui concerne la théosophie, je suis en dehors de mon champ de spécialité.
J'ai un vague souvenir selon laquelle l'idée de base de la théosophie, énoncée dans l'antiquité, serait celle d'une union entre dieu, l'homme et la nature.
Maintenant, je sais que la secte de Mme Blavatski veut unir bouddhisme et hindouisme dans une espèce de synthèse mystique. Je ne vois pas bien le rapport entre la théosophie antique et cette doctrine.
Et je ne vois pas le rapport avec la laïcité, c'est à dire la séparation de l' église et de l' Etat. "

Le belge retorque
« Blatasky encense les travaux de Jean Itard sur l'éducation naturelle qui veulent démontrer que la bonté est meilleure pour éduquer que la baguette! Les Jésuites qui m'ont enseigné m'ont formé à la dure. Regardez le résultat: j'ai réussi et j'en suis fier!

L'éducation est l'affaire de l'Église, pas des Radicaux!

Comme si les paysans et les ouvriers allaient travailler sans contremaitre. La masse populaire est naturellement portée à
la paresse... »

Le père Illitch reprend:
« Je connais une professeure de Rome, Maria Montessori, qui se réclame de la Théosophie et prône une école laique. Je devrais
peut-être mieux la faire surveiller... »

Adrien : " Et si on laissait la politique et la religion en dehors de l' éducation. Il appartient aux seuls parents de décider ce qu'ils veulent pour leurs enfants. S'ils veulent donner à leurs enfants une éducation religieuse libre à eux. Mais tous les enfants doivent se sentir chez eux à l'école, quelle que soit les orientations religieuses et politiques des parents. Le seul rôle de l'école de ce point de vue est d'enseigner la morale et l'amour du pays. "

Pour tous:

« Je vous prie d'excuser mon ignorance. », dit aussitôt Eustache.


« Je vous rejoins. », répond-il ensuite à Adrien. « L'expérience de l'âge m'a montré que moins on mélangeait les choses, meilleurs étaient les résultats. Il est à mon sens préférable que les professeurs enseignent le savoir et que les religieux enseignent la religion. Je ne pense pas qu'un seul et même homme ne puisse faire les deux. Les Jésuites sont souvent des savants extraordinaires. Mais, dans ce cas, ils doivent veiller à bien faire la distinction entre ce qui relève du savoir et ce qui relève de la foi. Mélanger science et religion n'a jamais rien donné de bon, ni pour l'une, ni pour l'autre. "Le cœur à ses raisons que la raison ne connaît point.", comme le disait très justement Blaise Pascal. Et réciproquement, aurais-je envie d'ajouter… C'est d'ailleurs ce qui me gêne dans la théosophie. Même si chacun doit rester libre de mener ses recherches comme il l'entend, mélanger ce qui relève du sentiment, fut-ce-t-il le plus noble, comme la foi, et le raisonnement pur, ne peut pas donner de démonstration que la raison acceptera sans sourcilier, ni de véritable adhésion de l'âme. Une démonstration qui s'appuie sur des croyances n'est pas vraiment probante et une foi qui a besoin de s'étayer sur des preuves concrètes n'est plus une véritable foi. »

Un autre passager se joint à vous

Capitaine Anton Slovak

Cet officier de la cavalerie polonaise est un grand gaillard d'un mètre quatre-vingt-dix, véritable colosse blond aux larges épaules. Issu d'une famille noble, le capitaine Slovak sert dans le 17e Régiment de lancier polonais, stationné à Varsovie. Jouant volontairement le rôle du militaire un peu borné, il étonnera par-fois son auditoire par la subtilité de ses opinions. De plus, c'est un remarquable joueur d'échecs, à la fois inventif et rigoureux. Grand admirateur du régime militaire prussien, il déplore pourtant l'expansionnisme allemand vers les pays de l'Est. Persuadé qu'un jour la Pologne et l'Allemagne s'affronteront sur un champ de bataille, le capitaine Slovak déclare préférer tout savoir sur un futur ennemi plus que potentiel. Détestant par-dessus tout les mondanités, il ne fréquentera le wagon-restaurant du T.E.O. que le temps de trouver un partenaire pour une partie d'échecs.

« Y'a t'il des amateurs ? Je vous laisse les blancs. »

Le dernier passager est Abdu Suleymani.

Ce négociant turc d'une quarantaine d'années travaille directement pour le compte du sultan. Vêtu à l'occidentale et coiffé d'un magnifique fez rouge, ce petit homme n'est guère sympathique. Communiquant assez rarement avec ses compagnons de voyage, il préfère se cantonner dans sa cabine et écouter des airs orientaux sur son phonographe, en fumant son narguilé. Se faisant servir ses repas dans sa cabine, vous aures du mal à pouvoir discuter avec ce sympathique représentant de l'Empire.

Vous l'appercevez à la dérobée quand on lui sert son repas...

Voilà tous les passagers. Tous les suspects. Je vous laisse discuter au diner avant de dormir. 6h30 demain matin: réveil à Andrinople.