Le garde parcouru attentivement le document, sans un mot, et l'affaire paru durer une éternité. Finalement, il pointa du doigt la ligne concernant le contenu du chargement et fronça les sourcils en disant :
« Là, le contenu de la cargaison que vous accompagnez, cela n'a pas été écrit par la même personne que pour le reste du document. Comment expliquez vous cela ? »

Serein et toujours cordial, Nas tenta de cacher la fraude.
« Ce document a été approuvé en l'état par des personnes compétentes, en témoigne le tampon.
Il pourrait être écrit de mille mains différentes, qu’importe, du moment que les informations qui s'y trouvent sont justes et validées par les autorités.
Si cela vous gène encore, on peut peut-être aller demander au capitaine ce qu'il en pense. »

Le regard mauvais du garde flamboya à la provocation. Il était sur le point d'aller déranger le capitaine mais il hésita et finalement, tendit le document à Nas avant de grommeler :
« Trouvez une paillasse au premier pont. Le départ est prévu dans une heure. »

Continuant à afficher un léger sourire, Nas remercia le garde et embarqua sur le quatre mats.
Avant de se trouver une couchette, il chercha quand même le capitaine, mais cette fois ci pour lui proposer de se mettre à son service, du-moins pendant la durée de la traversée.
Nas était un aventureux, et aucune tache à bord d'un navire ne devait le rebuter.
Et puis, le capitaine d'un si grand navire avait certainement beaucoup de choses à raconter, notamment sur toutes les cités portuaires de la terre du milieu.

Nas rejoignit le pont principal, passant devant l'entrée de la cahute, déserte au moment du départ, qu'il rejoindrait plus tard pour trouver un couchage. De là, il jeta un œil à tous les aventureux à l’œuvre et se sentit dans son élément. S'il n'avait pas été marin depuis sa plus tendre enfance, il l'était tout du moins d'adoption et se sentait à l'aise, mis à part les regards en biais que semblait lui lancer certains membres de l'équipage.
De là, il marcha d'un bon pas en direction de la cabine supérieure, dont l'entrée, fermée, était gardée par deux aventureux armés d'une hallebarde.

Les deux gardes se regardèrent, l'air un peu gêné. Ce genre de requêtes étaient courantes chez les aventureux, surtout à l'approche du départ. Pourtant, ils ne pouvaient y répondre favorablement :
« Le capitaine est occupé et ne peut recevoir personne pour l'instant. Le second se trouve au gaillard avant, il s'agit de Bukley. Peut-être aurez-vous plus de chance, même s'il à fort à faire à coordonner l'équipage. »

Nas se dirigea donc vers la proue de d'Espadon en quête de Bukley, rassuré par ces deux soldats qui paraissaient moins intraitable que celui qui contrôlait l’accès au navire.

Il n'eut aucun mal à identifier Bukley, qui distribuait avec force voix de nombreux ordres aux aventureux sur tout le pont principal. Il aperçut Nas et, après l'avoir regardé quelques secondes, lui sourit avant de crier :
« Lendal ! Je n'ai pas encore reçu l'ordre de lever le pont. Or nous sommes déjà en retard, va donc voir si tout le monde à embarquer et demande au capitaine la raison de ce retard. »

Sans faire obstacle à ses incessants vas et viens, signe d'un départ imminent, Nas s’adressa au second.
« Bukley c'est ça ? Je suis Jensenn, j'accompagne ma cargaison à Lond Daer Eneth.
Je sais bien que ce n'est pas le bon moment pour vous déranger, mais j'ai une offre à vous faire !
Je me mets à votre disposition pour réaliser n'importe quelle tache durant la totalité de la traversée, et en échange, je voudrais converser un peu avec vous sur notre destination durant les pauses déjeuner.
On a toujours besoins de bras supplémentaires sur un bâtiments tel que celui-ci, qu'en dites vous ? »

Bukley rit bruyamment :
« Hahahaha, hé bien voilà une opportuniste façon de s'inviter à meilleure pitance que la soupe des matelots. La table du capitaine ! Rien que ça. Tu dois pas être n'importe qui toi. Je vais voir ce que je peux faire pour toi, Jensen mais ça ne dépend pas que d'moi. Le capitaine doit me donner son accord. Et puis, repas ou pas, tu crois pas que tu allais te tourner les pouces non ? L'est bien bonne celle-là ! Au boulot ! Va donc aider à hisser les voiles !
Enfin, encore faut-il que Monsieur le capitaine daigne donner l'ordre de départ. »


Sur quoi, le mousse refit son apparition et s'approcha, la tête basse de Bukley.
« Le capitaine vous fait savoir que le départ est reporté jusqu'à nouvel ordre. »
Il fixait le bout de ses pieds, craignant la réaction du second de l'espadon.
Ce dernier parut s'étouffer :
« Ha bon ? On retarde encore le départ ? Et comment on va rapatrier les soldats postés en Terre du Milieu si on reste à quai ? On va en causer. J'y vais!! »
Bukley partit en trombe en direction de la cabine du capitaine, laissant le mousse soulagé que Bukley ne s'en soit pas plus pris à lui.

Le marché n'était pas conclu, mais Nas se mis quand même au travail et se mêla au reste de l'équipage, empoignant et serrant les cordages pour déployer les voiles du quatre mâts.
Bukley avait l'air assez bavard, et tôt ou tard Nas obtiendrait des renseignements sur l'état actuel de Lond Daer Eneth et ses alentours.

Nas se rapprocha du mat principal, sur lequel 3 aventureux, dont le mousse, avaient commencé à grimper et jetaient des regards à son encontre, attendant qu'il en ait fini avec le second pour leur permettre d'accomplir leur tâche.
Nas officiant habituellement dans la logistique, il n'était pas le plus aisé dans les manœuvres, même si comme tout aventureux qui se respecte, il avait bien été formé et avait pratiqué, à ses débuts, en temps que simple matelot.


C'est donc avec une légère appréhension qu'il attrapa le filet qui lui permettrait de se hisser jusqu'à la grand voile.
Les 3 autres, qui avaient déjà atteint le grand bunier volant, le hélèrent :
« Ola ! On est pas prêt de partir si tu mets autant de toi à monter. » se gaussèrent les deux plus âgés des marins.
Nas redoubla d'efforts pour accélérer le rythme. Il atteint rapidement la grand voile. Il entama alors la montée jusqu'au grand bunier fixe, le filet était désormais bien plus étroit et moins stable, et dans sa précipitation, Nas perdit l'équilibre puis sa prise... et il chuta. Fort heureusement, il réussit à se rattraper deux mètres plus bas et resta immobile, suspendu, quelques secondes, avant de reprendre son ascension.
« Attention où tu mets les pieds, mon gars ! » entendit-il se moquer là-haut.
Nas atteignit tant bien que mal le grand perroquet. Peu à l'aise avec les filets, il se montra toutefois bien plus à l'aise à la manœuvre, une fois à l'équilibre sur le mat du perroquet, jonglant et se rattrapant avec les cordages alors qu'il progressait pas à pas. Sans répondre aux provocations, courantes, de ses compagnons d'équipage, il fit preuve d'une grande habileté dans le déploiement de la voile, parfaitement coordonné avec le mousse, de l'autre côté de l'immense rondin de bois. Cela suffit à faire taire les railleries des autres, perchés quelques mètre plus haut au sommet du navire.
Après une bonne vingtaine de minutes, l'ensemble des voiles du grand mat étaient déployées et Nas touchait enfin à nouveau le pont de l'espadon. Il avait retrouvé, non sans mal, ses marques.

Le jeune mousse, une fois les deux autres éloignés, lui souffla :
« Toi, tu ne connais pas bien l'espadon, n'est-ce pas... »

Examinant un instant le rendu de son travail et les immenses voiles ornant le grand mât arrière jusqu’à sa cime, Nas jugea qu'il s'était certainement un peu trop précipité dans sa première tache sur ce navire. Surement avait-il voulu épater l'équipage, portant toujours un œil très critique et souvant moqueur sur les nouveaux matelots, pour lui garantir un bon retour auprès du capitaine, et donc une audience.
« Je le connais de vu. En même temps on ne peut pas louper un navire comme celui là !
Mais c'est vrai, je n'y suis jamais monté, c'est une première pour moi.
Comme tu as pu le constater, mes gestes son un peu rouillés, mais ils reviendront vites ! » Confia-t-il en essayant de dissimuler son embarras fasse aux jeune garçon qui paraissait avoir vécu depuis toujours sur un bateau.
« Je suis Jensenn. Et tu es Lendal n'est ce pas ? Ça fait longtemps que tu oeuvre sur ce navire ? »
Nas entamait la discutions mais ne perdait pas de vue les mouvements du reste de l'équipage, prêt à enchaîner sur la manœuvre suivante, et il tenta de sonder les quelques regards qu'il croisait, prévenant ainsi un échange mal engagé avec le capitaine.

« Oui moi c'est Lendal, et c'est mon deuxième embarquement à bord de l'espadon en tant que mousse. »
Il haussa les épaules à la mention du fait que Jensenn se trouvait rouillé.
« Oh tu es un peu rouillé, mais tu t'en en es bien sorti avec moi là-haut. Tu as juste failli te rompre le coup en montant. » et il sourit.
Un sourire qui s'effaça rapidement, comme si le jeune homme était rattrapé par la réalité.
« Je te disais ça parce tu risques de ne pas apprécier d'aller manger en cabine avec le capitaine et le second.. »

Et ce disant, il regarda autour de lui, l'air suspicieux.
Et maintenant que Nas y prêtait attention, c'est tout l'équipage qui transpirait la suspicion. Les regards étaient nombreux en sa direction, mais pas que. Tout le monde semblait épier tout le monde à bord.

Dans une atmosphère devenue plus tendu qu'elle n'y paraissait, Nas se fit soudain plus discret.
« Comment ça? Ce sont les marins qui n'approuveront pas ou dois-je craindre le capitaine?
Existe-t-il une forme de rivalité entre certains membres de l'équipage? »
Laissant la parole au jeune homme, Nas chercha à identifier des signes de mensonges ou à percevoir si les mots du mousse étaient guidés par la peur.

Le gamin paraissait sincère, du moins Nas le pensa en l'écoutant.
« Les marins, j'en sais trop rien. Le capitaine, le second, moi je crains tout le monde ici. Une forme de rivalité, oui, c'est le moins qu'on puisse dire. »
Il se mit à chuchoter :
« D'après ce que j'ai compris, le capitaine ne porte pas Buckley dans son cœur et... ça semble réciproque. Buckley vient tout juste d'obtenir son poste de second, il officiait dans un autre équipage avant. »

Nas se mit lui aussi à chuchoter :
« Comment Buckley est-il devenu second de l'espadon si ces deux là s'apprécient guère ? Le capitaine ne l'a t-il pas choisi ? Quelqu'un lui aurai imposé son second ? »
Peut-être mettait-il le doit sur un conflit entre fidèles et serviteurs au seins même du navire.
« Sais-tu dans quel vaisseau servait Buckley avant de venir ici ? »