Valucius guettait le moindre signe qui pourrait mettre en doute la véracité de ses propos, fixant de ses grands yeux, tout sourire, le visage de Nas. Alors que celui-ci lui répondait, son sourire s'illumina encore plus au beau milieu de son allocution et il se mit à tapoter l'accoudoir du superbe fauteuil en soie bleu nuit dans lequel il se trouvait assis. « L'armée, oui, je vois. L'armée bien sûr. » Son regard se perdit sur un grand tableau, dans lequel un régiment embarquait sur un immense galion - l'immortel - dans le port de Rómenna. « Un envoi secret d'armes pour une livraison qui devrait pourtant être des plus banales, vous en conviendrez. » Son regard plongea dans celui de Nas. Il lui fit comprendre qu'il n'attendait pas de réponse, il énonçait simplement une évidence. « Vous ne l'avez peut-être pas remarqué, lorsque nous avons vérifié "votre" cargaison, mais l'un des sceaux, celui qui scellait le tonneau à moitié plein - ou à moitié vide - si vous préférez. » son visage s'illumina à nouveau. « Ce sceau donc, n'était pas de la même fraîcheur que les autres. Comprenez, mon cher, que je suis expert en ce genre d'examen. La cire change d'aspect les premiers jours de son séchage - elle est conçue pour - et je dispose d'autres moyens de vérifier si quelqu'un a plus ou moins grossièrement essayé de faire disparaître un sceau pour le recouvrir ensuite. Vous n'avez pourtant pas remarqué qu'une partie de votre chargement ait disparu, n'est-ce pas ? » A nouveau, il montra qu'il n'attendait point de réponse, comme si elle importait peu. « Buckley est le seul, à ma connaissance, en possession du sceau du second de ce navire. Toutefois, la falsification de sceau est une possibilité. » Désormais, le commissaire semblait s'adresser à lui-même, livrant ses réflexion à haute voix sans se préoccuper de Nas. « Particulièrement sur un navire probablement rempli de contrebandier. Tous repentis j'en suis certains, maintenant que je suis entré à bord. » Sa voix monta dans l’aigu en achevant cette dernière phrase et il fut prit d'un rire qu'il étouffa à moitié du revers de sa main devant ses lèvres. Le commissaire semblait particulièrement fier de sa boutade, mais voyant que Nas n'était guère d'humeur à partager son hilarité, le fixa une seconde, guettant une éventuelle réaction, puis haussa les épaules en secouant la tête, maussade. Il tapota à nouveau les accoudoirs de ses doigts, de ses deux mains cette fois.
« Mais revenons-en à nous. » Un rictus d'une telle sévérité s'afficha sur son visage si soudainement qu'on eut pu douter que cet homme ait jamais souri de son existence. « Vous mentez. » « Toute cette histoire est affreusement louche. Je pourrais vous faire mettre au fer jusqu'à notre retour sur Numenor, où une rapide vérification me prouverait que cet Hamald d'Orrostar n'est pas dans l'armée, ou bien qu'il ne vous a jamais rien demandé, ou encore qu'il n'existe même pas. » « Je pourrais... Je tirerai cette histoire au clair, soyez-en sûr mon cher. Toutefois, vous ne faisiez pas partie de l'équipage qui a réalisé la précédente traversée. Ils guettent mes moindres faits et gestes et me bercent de mielleuses histoires depuis mon arrivée ici. Je trouverai les traîtres qui officient ici. » hurla-t-il en tapant du poing sur la table. Puis il se rassit et reprit : « Vous allez m'aider. Oui, vous allez travailler pour moi ce qui vous évitera de dépérir en geôle de longs mois durant. Étant donné la sanction que je vous ai infligé, ils ne se douteront de rien. Vous serez mes yeux et mes oreilles, là où les langues se délient après mes interrogatoires. En parallèle, votre première mission sera de mettre la main sur les livres de comptes des 3 dernières années. Ils ont disparu et je garde espoir de les retrouver. Peut-être y parviendrai-je moi-même, ou peut-être ont-ils été jetés par-dessus bord. Qui sait ? » « Qu'en pensez-vous ? » Valucius sourit à nouveau, comme s'il venait de se faire un ami.
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